- Cet article a été écrit pour le journal Voyagô de Sciences Po Aix. Ce journal est un recueil des expériences des étudiants expatriés -
Voici enfin mon épilogue, mon point final.
« Chiang Mai dans le Nord de la Thaïlande, il est 18h. Le soleil
commence déjà à se coucher derrière la montagne de Doi Suthep. Fin de journée,
je suis sur mon scooter et valse parmi les véhicules pour rentrer chez moi en
rapidité, juste après la rivière Ping, pour y déposer mes quelques affaires de
boulot. Bon sang qu’ils sont lents ces Thaïlandais. Ma conduite marseillaise
n’est décidemment pas des plus appropriées dans cette ville. On m’attend pour
le repas au marché de Chiang Mai Gate et comme d’habitude je suis légèrement en
retard. Ce quart d’heure aixois me poursuit même à l’autre bout de la planète.
La faim me taraude … je prendrai bien une salade de papaye avec un bon smoothie
mangue/ananas. En tout cas, je ne dépenserai pas plus de 2 euros pour manger,
c’est chose certaine.
« Sawadee ka, sabai di mai ? Som tam mai phet ka ![1]»
Et merde, c’est encore trop épicé. Je n’arriverai pas à finir ma salade et
boire de l’eau de sert à rien dans ces cas-là. A qui il reste une boulette de
riz pour faire passer le piment ? Allez, je sue encore : cette frange
je vais finir par me l’arracher. Entre la chaleur et l’épicé je suis mal
barrée. Il fait 30 degrés, et il est 20h, c’est le mois de mars.
Malgré ma tenue, short et claquettes, je reprends mon scooter. Si ma mère
me voyait … néanmoins, j’ai un casque (un peu grand certes), mais j’en ai
un ! Puis je suis seule sur mon scooter … je ne transporte pas toute ma
famille et le chien avec moi. Bref je vis à la thaïlandaise, alors peu
importe : ici le danger n’existe pas.
Je dois rejoindre ceux du boulot pour aller boire un coup : car oui,
c’est mardi soir. Direction le North Gate Jazz Bar, le lieu de prédilection de
tous les expatriés. Dire que ce bar me semblait des plus étranges et peu
engageant quand je suis arrivée … tout ce monde qui écoute du jazz à moitié
dans le bar et je dirai même aux trois-quarts débordant sur la route. Combien
de personnes de ma connaissance vais-je croiser ce soir ? Une, deux,
trois, quatre … décidemment, Chiang Mai est vraiment une toute petite ville.
C’est qui celui-là ? Zut, c’est quoi son prénom … Bon tant pis, souris et
demande après à ton pote s’il le connaît. Ah non, voilà Kanji, le mi-Birman
mi-Anglais, qu’il est bruyant … où est passé le mi-Français mi-Thaï qui est en
fait Américain ? Ah voilà l’Ecossais, la Canadienne, l’Italien et le Singapourien,
les autres mi-Thaïs et mi-Américains. Cool il y a même le Hollandais qui a 76
ans, lui il est extraordinaire, on dirait qu’il a toujours 16 ans dans sa tête,
c’est la mascotte. Voilà l’Australienne et son copain. On est tous là, c’est la
fin du festival, on décompresse. Mes collègues françaises ne devraient pas
tarder à arriver non plus.
Qu’est-ce qu’on boit ? Bière Chang. Bon sang … que le vin me manque.
Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour un petit rosé pamplemousse à l’ancienne.
Mais bien sûr, à part du rouge et du blanc, ici ils ne connaissent pas grand-chose.
Il y en a assez de la bière asiatique sous toutes ses formes. Et le vin de riz
ce n’est pas non plus extraordinaire … Je vais éviter de me plaindre sinon je vais
encore passer pour la « frenchie » de base, si je sors une critique
sur le « wine » la réponse sera forcément « cheese ». Déjà
qu’ils ne sont pas foutus de manger autre chose que du riz dans ce pays …
franchement vivement la France, mon pain et mon bon vieux frometon qui pue, pas
un qui fait semblant !
Car oui le riz, parlons-en ! … en fait non, n’en parlons pas. Cette
abomination qui n’a point de goût et qui n’est décidément pas fait pour les
occidentaux. Je pratique le boycott du riz depuis déjà 6 mois et je ne m’en
porte qu’au mieux.
Fin de soirée, j’ai croisé au moins quatre personnes dont j’ignore le
nom : déjà qu’avec les prénoms français j’ai du mal, alors les prénoms
thaïs … c’est perdu d’avance. Il est l’heure de rentrer à la maison, c’est
minuit le bar ferme. Le rythme de vie thaïlandais c’est plutôt du lever tôt (5h
du matin) coucher tôt (20h). C’est ce qu’on appelle vivre avec le soleil, mais
heureusement ils ne sont pas tous dans ce cas-là, un bon nombre vit à
« l’occidentale » et sort le soir. Néanmoins, concernant la bouffe,
il y aura toujours quelques choses d’ouvert quelle que soit l’heure.
Il est minuit, je rentre chez moi. Les bières m’ont un peu assommée, personne
n’est sur la route, Chiang Mai dort. Je songe à la France, je songe à ma
famille, mes amis, à ceux qui sont dans d’autres pays pas si loin de moi au
final. Je songe à tout ça et je compte les mois avant mon retour, trépignant
d’impatience à la fois à l’idée de rentrer et le cœur déchiré à la seule idée
d’y penser. »
« Vivement la France … »
Lorsque j’étais là-bas, la France me semblait loin et presqu’un rêve. Il me
semblait que jamais je ne rentrerai chez moi. En raison, cette sensation d’être
finalement chez moi à Chiang Mai. Cette ville était devenue ma maison, je la
connaissais comme ma poche, chaque rue, chaque restaurant, chaque bar … de
nombreux visages croisés dans la rue m’étaient familiers. Aux échoppes, on me
reconnaissait. Je faisais partie de Chiang Mai. En tant qu’expatriée, une
nouvelle vie est à construire de zéro et c’était chose bien faite me
concernant. J’ai pu me rendre compte que je me sentais si proche de cette ville
à l’occasion de mes voyages et retours à répétition. Si je suis partie pour
vivre en Thaïlande, c’est aussi l’Asie un peu plus dans sa globalité que j’ai
pu découvrir et que j’ai su apprécier. Un billet low-cost et une visite chez
une sciencespiste du coin : le tour est joué, on peut voyager pour pas
cher ! De la Thaïlande, je suis allée au Cambodge, en Australie (si si, il
y a une forte population asiatique en Australie), à Singapour, à Hong-Kong, au
Japon, en Birmanie et au Vietnam. J’ai pu rendre visite à mes amies et voir
dans quel univers elles évoluaient de leur côté. J’étais capable de comparer
les expériences de chacune et les pays d’accueil, les paysages, les
populations, les mœurs, la nourriture (surtout la nourriture) … et les
prix. La Thaïlande c’est aussi ça, un coût de la vie si bas que je pouvais me
prendre pour la reine du pétrole ! Mais plutôt que de boire des coups à
répétition, j’ai préféré mes billets d’avion.
Chaque retour à Chiang Mai, j’éprouvais cette même sensation : me
revoilà à la maison.
Mon départ définitif fut des plus douloureux quand j’ai réalisé que je ne
reverrai plus jamais cette ville intacte, du moins telle que je l’ai connue.
Quand je me revois le premier jour débarquer avec ma grosse valise, la traînant
sur le sol à pavés de la guesthouse … je réalise à quel point j’ai su faire mon
chemin et à quel point l’Asie m’a apportée. Certes le premier mois ne fut pas
une partie de plaisir : il a fallu s’adapter. Et cette adaptation n’est
jamais accomplie définitivement tout au long de l’année à l’étranger :
elle se fait par étapes, mais alors que vous rentrez au bout de 11 mois, vous
ressentez que vous pensez bien différemment. Il ne faut jamais croire que l’on
sait tout sur son pays d’accueil, la surprise reste au rendez-vous. Tolérance,
compréhension, acceptation : vous n’êtes pas dans votre pays, vous n’avez
d’autres choix que de vous inclure dans cette nouvelle société, du moins si
vous voulez y vivre et évoluer agréablement, changez vos critères car vous êtes
l’intrus. Les réflexes français ne sont pas bons conseillers. Le français à
l’étranger est insupportable : il se prend pour le roi, il pense que tout
lui est dû. Ceci n’est pas ma conclusion, mais celle des trois-quarts des
expatriés français avec qui j’ai pu parler.
Quant aux Thaïlandais, ils se sont révélés être en accord avec bon nombre
de clichés dont j’avais eu vent : ils sont souriants et accueillants, mais
fiers, bien trop fiers ! Et oui, les Marseillais ne sont rien à côté. Demandez
votre chemin à un Thaïlandais pour voir … :
« - Sorry, I got lost, do you know the way from here to this
temple ?
-
Yes.
-
Shall I go
left or right ?
-
Yes. »
Quand il ne sait pas la réponse, le Thaïlandais vous dira toujours
« Yes ». Il s’agit de ne pas perdre la face. Chose problématique
quand on est perdu dans une ville que l’on ne connaît pas et que personne ne
comprend ce que vous racontez. Le Thaïlandais parle un anglais très
approximatif : j’appellerai ça l’anglais du commerce. Quand il s’agit de
chiffres, ils s’en sortent (et oui puisqu’il faut tout marchander), par contre
ce n’est pas la peine d’essayer d’avoir une discussion profonde avec les
teneurs d’échoppe de rue. Ceux qui parlent très bien anglais viennent pour la
plupart de Bangkok. C’est en côtoyant des Thaïs de la capitale et des expatriés
que mon niveau d’anglais s’est amélioré. J’ai rencontré des personnes venant
des quatre coins du monde, parlant avec tous les accents possibles (je ressens
une certaine fierté à comprendre l’accent écossais) : ainsi, ce n’est pas
compliqué de deviner que mon thaï reste et restera très rudimentaire.
Enfin, des anecdotes je pourrai en écrire des pages et des pages … découverte
et émerveillement sont les mots-clés pouvant résumer ma troisième année. Il
arrive parfois qu’on en ait marre : c’est alors qu’il faut faire une pause
ethnique, boire un bon vin rouge avec un bout de fromage, du pain (beaucoup de
pain !) et quelques amis français afin de critiquer ce pays dans lequel
vous avez atterri. Mais pour une première fois en Asie, Chiang Mai fut un
berceau magnifique. Cette ville a une aura apaisante. Rien n’est compliqué en
Thaïlande, tout est simple : « mai pen rai », pas de
souci, une sorte de « Hakuna Matata » à la thaïe. Trouver un
appartement ou un scooter : c’est possible en une journée. Vous avez
faim ? Descendez en bas de chez vous, vous aurez n’importe quel plat
préparé en 5 min sous vos yeux ou bien des fruits fraîchement coupés. Vous avez
besoin d’internet ? N’importe quel commerce peut vous proposer le wifi.
Une carte sim ? Le 7 eleven pourra vous en vendre une pour 2 euros.
Mai pen rai, il s’agit seulement
de ne pas se précipiter, il faut prendre son temps. Il n’y a pas de fin en
soi : aucune situation n’est critique. Pour une stressée telle que je
suis, c’est une belle leçon de vie. La France aurait beaucoup à apprendre de la
Thaïlande : de toute manière au niveau de l’administration, ça s’équivaut.
La Thaïlande n’est cependant pas un pays parfait, le respect voire parfois
le tabou font partie intégrante de cette société. Pour dire bonjour et
merci : baissez la tête. Evitez de regarder la personne directement dans
les yeux. Si vous êtes en couple, n’embrassez
pas votre conjoint(e) dans la rue (se tenir la main en public est déjà chose
trop érotique…). N’oublions pas qu’il s’agit d’une monarchie : un seul mot
de travers sur le roi et vous pouvez être envoyés au trou. Ce roi est tant aimé
que sa figure finira par vous être plus familière que celle de votre
grand-père : son portrait, sous différents âges, est placardé partout,
dans les lieux publics sur plusieurs mètres de haut comme dans chaque foyer (à
une échelle plus raisonnable du cadre sur le buffet). Un petit culte de la
personnalité qui fait bizarre quand on vient de France. Au niveau politique, la
Thaïlande c’est le chaos (19 coups d’Etat depuis 1932 à en croire le net) et au
niveau des respects des droits de l’homme, il lui reste un très long chemin à
parcourir. C’est aussi ça la vie d’expatrié : quand on est occidental, on
ne ressent pas ces poids qui pèsent sur la vie des communs, du moins en
Thaïlande. Mais on sait que ça existe, alors oui on se sent mal à l’aise mais
assez impuissant, surtout lorsque l’on voit des cars entiers de réfugiés
birmans se faire raccompagner à la frontière...
En tant que « farang », ce terme désignant toute
personne blanche de peau, jamais vous ne vous sentirez ou serez agressés.
Chiang Mai est la ville la plus « safe » dans laquelle il m’est été
donnée la chance de vivre. Oublier les clefs sur son scooter, laisser son
casque sur son rétroviseur, laisser la porte d’entrée de chez soi ouverte … jamais rien n’est arrivé. Et en tant que
femme, se balader à 2h du matin dans la rue en short est loin d’être mal venu,
surtout quand on voit que d’autres Thaïlandaises portent des vêtements bien
plus courts … la Thaïlande c’est aussi le tourisme sexuel, lady boy ou non, ces
filles sont toutes magnifiques et sur leur 31 pour accueillir le farang affamé
…
La Thaïlande ce n’est pas non plus le paradis sur terre : c’est un
pays en voie de développement dans lequel il est parfois lourd d’accepter
certaines façons de penser et de vivre. La réaction de l’expatrié sera
basiquement « ils n’ont rien compris, chez moi c’est comme ça ». Oui,
mais chez eux c’est différent et c’est leur réalité, alors il faut accepter ou
rentrer.
De nouveau en France, souvent cette phrase a résonné à mes oreilles :
« Alors, ce retour à la réalité ? ». Je ne suis pas revenue à la
réalité, ma réalité fut l’Asie pratiquement un an durant. Ça existe, ce n’est pas
seulement une carte postale. Désormais, Chiang Mai me paraît bien trop loin à
mon goût, mais elle est là, quelques parts sur ce petit bout de planète. Si
j’avais imaginé un jour me construire mon chez moi à des milliers de kilomètres
de la France ! La Thaïlande fut un choix dû au hasard et dans ma
situation, il a bien fait les choses.
Il y a toujours un pays qui vous correspondra davantage qu’un autre pour
une 3A. Bon courage à tous les 2A dans cette quête du « pays
parfait » (qui rassurez-vous, n’existe pas) : ce n’est pas facile, mais
laissez-vous surprendre, l’inattendu pourra aussi vous réussir.
Si je veux repartir ? Bien sûr, je n’attends que ça. Quand ?
Bouddha seul le sait.